Pleurer devant sa télé
Ça fait pas mal de fois maintenant que jai eu envie décrire un billet sur la télé ; jai failli vous parler du « Jerry Springer Show » et de sa mise en scène ridicule de situations imaginaires, de « Ça va se savoir », son équivalent européen, de la médiocrité des scénarii et des acteurs de « Plus jamais comme ça », un de ces nombreux intermèdes publicitaires-divertissements qui simposent à nous entre les infos et la météo, de « Super Nanny », « Oui Chef » et de la télé-simili-réalité en général, dMTV et de ses rediffusions à répétition Bref de ce qui me saoule.
Jaurais pu aussi vous parler des passages du Klub des Loosers et de TTC sur le plateau de « 20h10 pétantes », des sujets de la ravissante Tania Bruna-Rosso du « Grand journal » de Canal+, de « 93, Faubourg Saint-Honoré » et de « Paris Dernière » sur Paris-Première, de Tracks et de ses sujets dépaysants Bref de ce qui mamuse.
Mais hier je suis tombé sur les 15 ans d « Envoyé Spécial » Quand je dis que je suis « tombé » dessus, cest que je navais pas prévu de le regarder, alors que cest souvent le cas, et quen zappant je my suis arrêté.
Jai vu le reportage consacré aux « hôpitaux psychiatriques » en Russie : « En 1996, une journaliste dEnvoyé Spécial découvrait lhorreur des internats ou 30 000 enfants handicapés étaient à lagonie ». 95% des parents ayant un enfant handicapé à la naissance labandonnent à lEtat, ils sont alors considérés « inéducables » et son placés dans ces internats où lambiance est morbide et les couleurs absentes
Les images, tournées à linsu de ladministration, sont crues ; on y voit des enfants squelettiques, difformes, pâles. Ils se déplacent dans des lits à barreaux métalliques, ils bougent comme des animaux, ils semblent inconscients, il paraît quils sont tellement peu nourris quils mangent leurs excréments pour survivre La présentation du sujet avait été explicite : « Certaines images sont difficiles », mais ce genre de phrase ne permet jamais de savoir ce qui se cache derrière le mot « difficile ». En voyant ces corps à peine mobiles et ces visages inhumains, ma gorge se serre, je nessaie pas de lutter, mon écran de télé me donne froid, je pleure Je me revoit alors une dizaine dannée plus tôt, dans les bras de mon père. Cest le week-end, on vient de finir de déjeuner, on est devant la télé et on regarde un reportage sur la situation des enfants en Ethiopie. On pleure tout les deux devant des images denfants rachitiques, la douleur crève lécran Je pense alors que si je pleure cest que je suis petit, et que si mon père pleure, cest quil maccompagne dans la douleur
Je me suis trompé, je ne pleurait pas parce que jétais petit.
Hier aussi, devant ces enfants Russes, jai pleuré. Ça faisait longtemps que ça ne métais pas arrivé.
Je nai jamais pleuré devant un film, je ne suis pas un bon client pour la sensiblerie, mais la vérité dun reportage, le saisissant dune image, dun visage, dun corps à lagonie fait de moi quelquun de différent. Ça faisait longtemps que ça ne métais pas arrivé.